Une demande divisionnaire (demande fille) est une demande de brevet qui prend son origine dans une autre demande de brevet antérieure (demande mère).
Les effets de la division
Bénéfice de la date de dépôt antérieur
La division d’une demande de brevet français permet de déposer une demande de brevet en bénéficiant de la date de dépôt d’une autre demande française, i.e. la demande « mère » (L612-4 CPI, alinéa 2).
Constitution du dossier
Lors de la division, le dossier de la demande divisionnaire est constitué par le dossier de la demande antérieure (R612-35 CPI, alinéa 3).
Néanmoins, si la demande divisionnaire est restreinte, seule la description « restreinte » sera accessible dans ce dossier (R612-35 CPI, alinéa 3).
L’utilité des demandes divisionnaires
La division est utile principalement dans l’hypothèse où une de vos demandes contiendrait plusieurs inventions et que Examinateur a soulevé un « défaut d’unité d’invention » (L612-4 CPI, alinéa 2) : certaines inventions ont dû être abandonnées afin que l’examen puisse se poursuivre, mais pour autant, vous souhaitez protéger ces inventions.
Le dépôt d’une demande divisionnaire est tout indiqué dans cette situation.
Condition pour diviser une demande de brevet
Les conditions de fond
Description et dessins
Lors d’une division, deux options sont ouvertes au demandeur (R612-35 CPI, alinéa 2) :
- reprise de la description et des dessins à l’identique (les revendications pouvant être alors modifiées pour se restreindre à un objet) ;
- limiter la description et les dessins à la partie de l’invention couverte par les nouvelles revendications.
Ainsi, il n’est pas possible d’ajouter un quelconque contenu à la demande.
Revendications
Les revendications doivent toujours être supportées par la description (L612-6 CPI, deuxième phrase).
Les conditions de forme
Types de demande mère
Toute demande française peut être divisée.
Une demande de certificat d’utilité ne peut pas être divisée en demande de brevet (Directives d’examen de l’INPI, I-B III.2) : seule une division en certificat d’utilité est possible.
Comme le montre le schéma précédent, il est tout à fait possible (Directives d’examen de l’INPI, I-B III) :
- de diviser plusieurs fois une même demande ;
- ou de réaliser des divisions en chaine.
Demande mère en instance
Au regard de la lettre de L612-4 CPI, R612-34 CPI et R612-35 CPI, seule une demande de brevet (i.e. en instance) peut être divisée.
Ainsi, il semble possible de diviser :
- si un délai n’a pas été respecté :
- jusqu’à l’expiration du délai en cause, car le recours en restauration n’a pas d’effet suspensif (Directives d’examen de l’INPI, I-E 3.3.1 d)),
- sauf si la restauration aboutit ;
- si une demande est rejetée ou déclarée irrecevable :
- jusqu’à l’expiration du délai de recours (500 CPC, 1 mois selon R411-20 CPI) si aucun recours n’est formé ;
- jusqu’à la fin du recours si un recours devant une Cour d’appel est formé (L411-4 CPI, alinéa 2) du fait de l’effet suspensif de celui-ci (principe général de l’article 539 CPC, confirmé par Directives d’examen de l’INPI, I-E 3.3.1 d)).
- si une échéance de taxe annuelle relative à une demande n’est pas payée, deux écoles s’affrontent (et franchement, je ne sais pas trancher) :
- soit la division n’est possible que jusqu’à l’échéance normale du paiement de la redevance annuelle (L613-22 CPI, deuxième alinéa, « La déchéance prend effet à la date de l’échéance de la redevance annuelle non acquittée« ) ;
- soit la division est possible tant que le directeur de l’INPI n’a pas constaté la déchéance des droits dans une notification (car même si la déchéance est rétroactive, la décision du directeur ne peut pas affecter une situation irrévocablement acquise lors de la division, analogie avec C. Cass, ch com., n°10-24326).
- si la demande est retirée :
- avant que l’INPI ne reçoive toutes les pièces nécessaires au retrait (déclaration, éventuels pouvoirs, etc.) puisque c’est à cette date que le retrait est effectif et irrévocable (Directives d’examen de l’INPI, I-F) ;
- a priori, une division le jour même semble impossible (mais je n’ai pas de jurisprudence) ;
- si l’INPI décide de délivrer un brevet, une division est possible jusqu’au paiement de la redevance de délivrance et d’impression du fascicule du brevet (R612-35 CPI).
Demande mère à considérer
Division volontaire
Dans l’hypothèse d’une division en cascade (i.e. A est divisé en B, et B est divisé en C), pour vérifier si la demande mère de C est en instance (cf. conditions précédentes), il faut regarder la demande A (Directives d’examen de l’INPI, I-B III.2).
Cette interprétation de l’INPI est très surprenante, car c’est exactement l’inverse de la position européenne (je serai intéressé de connaitre la base légale permettant à l’INPI de prendre cette position)…
Cette position est même en contradiction avec le fait que l’on puisse diviser des demandes de brevets « en cascade » : cette possibilité ne servirait à rien si la demande véritablement importante pour l’évaluation des conditions précédentes est la demande « mère initiale » , non ?
Il convient de noter que les juges (Cour d’appel de Paris, pôle 5 ch.2, 22 novembre 2019, RG n°18/27433) ont validé cette interprétation de l’INPI. En effet, selon les juges, le terme « brevet » de l’article R612-34 CPI renvoie au terme “demande de brevet initiale” de la même phrase. Par ailleurs, selon eux, le terme “demande initiale” est la demande « racine » (car l’article L612-4 CPI prévoit que les demandes divisionnaires bénéficient de la date de dépôt de la demande mère).
J’avoue que je suis toujours sceptique…
En effet :
- syntaxiquement en français, rien ne dit que le terme brevet renvoie au terme « demande de brevet initiale ». Il est tout à fait possible que le terme « brevet » signifie le brevet que l’on va obtenir (i.e. celui de la demande divisonnaire dans le cas des cascades)
- « Jusqu’au paiement de la redevance de délivrance et d’impression du fascicule du brevet » : cette partie de la phrase n’indique qu’une condition de temps ;
- « le déposant peut, de sa propre initiative, procéder au dépôt de demandes divisionnaires de sa demande de brevet initiale » : cette partie de la phrase n’indique que l’objet que l’on va diviser.
- si le raisonnement de la Cour d’appel était juste, cela signifierait que les divisions en cascade ne seraient pas possible puisqu’il serait possible de ne diviser que la demande initiale selon R612-34 CPI (or, les directives de l’INPI prévoit bien ce cas … Directives d’examen de l’INPI, I-B III.2).
Division forcée
Il convient de noter que l’article R612-34 CPI ne s’adresse que pour les divisions à l’initiative du demandeur.
Dès lors, en cas de problème d’unité d’invention, il semblerait que cet article ne soit pas applicable (et donc, que le raisonnement de la cour d’appel dans la décision Kubota (Cour d’appel de Paris, pôle 5 ch.2, 22 novembre 2019, RG n°18/27433) ne s’applique pas).
Si on se réfère à l’article L612-4 CPI, nous voyions qu’une demande qui ne satisfait pas à l’exigence d’unité d’invention doit être divisée.
Dès lors, je ne vois pas comment l’INPI pourrait refuser une divisionnaire « forcée », même si cette demande divisionnaire est de 2ème génération et que la demande « initiale » n’est plus en instance.
Si mon interprétation est correcte, cela signifierait qu’il y a une discordance entre les divisionnaires « forcées » et les demandes divisionnaires « à l’initiative du titulaire »… ce qui est rarement une bonne idée …
Par ailleurs, cela pourrait inciter les demandeurs à créer un problème d’unité d’invention lors du dépôt de leur demande divisionnaire de première génération (ou même après réception du rapport de recherche) afin de se réserver le droit de diviser ultérieurement.
Conditions classiques
En tout état de cause, le dépôt d’une demande divisionnaire reste le dépôt d’une demande : ainsi, les conditions de forme standard (description, requête en délivrance, etc.) doivent être respectées (R612-35 CPI, alinéa 1).
Indications spécifiques à la demande divisionnaire
La requête en délivrance doit mentionner (Directives d’examen de l’INPI, I-B III.1) :
- dans la rubrique nature de la demande : i.e. « demande divisionnaire » (R612-10 CPI 1°/ et Directives d’examen de l’INPI, I-B II.3) ;
- le numéro de la demande mère.
Dans le cas contraire, la demande est traitée comme une demande « normale » (et la demande mère pourra être une demande opposable au titre de L611-11 CPI alinéa 3) (Directives d’examen de l’INPI, I-B III.1).
Demandeurs
Les demandeurs de la demande divisionnaire doivent être exactement ceux de la demande parente (R612-34 CPI et Directives d’examen de l’INPI, I-B III.4), à moins qu’une cession n’ait été inscrite, valablement, au RNB.
Si le demandeur ne coïncide pas avec les informations du RNB, le demandeur de la division est informé et il peut justifier de ce fait en produisant la preuve d’une cession non encore inscrite au RNB (Directives d’examen de l’INPI, I-B III.4).
Inventeurs
Comme toute demande de brevet, il est possible de désigner les inventeurs dans un délai de 16 mois à compter de la date de dépôt effective (ici, celle de la demande mère, R612-11 CPI, alinéa 2 ensemble R612-10 CPI, alinéa 1, 3°).
Néanmoins, pour les demandes divisionnaires, il est toujours possible de désigner les inventeurs dans un délai de 2 mois à compter de l’invitation de la R612-11 CPI (R612-35 CPI, alinéa 4).
Les taxes à payer
Les taxes de dépôt, de recherche
Délai
Les taxes de dépôt et de recherche doivent être payées dans un délai 1 mois à compter de la division (R612-35 CPI, alinéa 1 ensemble R612-5 CPI).
Dans le cas contraire, la demande est rejetée (R612-45 CPI, alinéa 1, 2°).
Le déposant dispose d’un délai de 2 mois à compter de la date de réception de la notification de rejet pour payer la redevance correspondante majorée d’un supplément (i.e. 50 % de la redevance non payée, Arrêté du 24 avril 2008 relatif aux redevances de procédures perçues par l’INPI, Annexe) : si rien n’est fait, le rejet devient définitif.
Taxe de dépôt
Le montant de la redevance de dépôt est fixé à (Arrêté du 24 avril 2008 relatif aux redevances de procédures perçues par l’INPI, Annexe) :
- [montant_epo default= »36 € » name= »INPI – dépôt sous forme papier »] pour un dépôt papier ;
- [montant_epo default= »26 € » name= »INPI – dépôt sous forme électronique »] pour un dépôt électronique.
Taxe de recherche
Le montant de la redevance de recherche est fixé à (Arrêté du 24 avril 2008 relatif aux redevances de procédures perçues par l’INPI, Annexe) :
- [montant_epo default= »520 € » name= »INPI – Rapport de recherche »] pour une recherche standard ;
- [montant_epo default= »156 € » name= »INPI – Rapport de recherche si rapport équivalent »] pour une recherche si la demande est une demande sous priorité étrangère accompagnée d’un rapport de recherche reconnu « équivalent » par le DG de l’INPI, c’est à dire :
- sous priorité d’une demande suisse (décision 92-286 du Directeur général de l’INPI), si le contenu est identique et si le rapport de recherche est fourni au moment de payer la redevance de recherche ;
- sous priorité d’une demande néerlandaise (décision 92-287 du Directeur général de l’INPI), si le contenu est identique et si le rapport de recherche est fourni au moment de payer la redevance de recherche ;
- sous priorité d’une demande belge (décision 96-408, du Directeur général de l’INPI)si le contenu est identique et si le rapport de recherche est fourni au moment de payer la redevance de recherche.
Les taxes de revendications
Principe
Si le nombre de revendications fournies dépasse 10, une taxe de revendication est due pour chaque revendication à compter de la 11e (R411-17 CPI).
Cette taxe est de [montant_epo default= »40 € » name= »INPI – redevance de revendication, soit au moment du dépôt, soit à la suite de modification, à partir de la onzième revendication »] pour chaque revendication à partir de la 11e (Arrêté du 24 avril 2008 relatif aux redevances de procédures perçues par l’INPI, Annexe).
Délais
Si le demandeur ne paye pas, une notification est envoyée au demandeur (R612-46 CPI, alinéa 1) en fixant un délai imparti pour payer cette taxe.
A défaut, la demande est rejetée (R612-46 CPI, alinéa 3).
Les taxes annuelles
Lors du dépôt d’une demande divisionnaire française, il est nécessaire de payer les redevances annuelles (R613-46 CPI).
Concernant les échéances déjà échues, l’article R613-47 CPI prévoit que la redevance annuelle est considérée comme valablement acquittée si le paiement a « lieu au plus tard le dernier jour du quatrième mois suivant la date de réception des pièces de la demande divisionnaire » .
La question est alors : « les taxes déjà échues bénéficient-elles d’un délai de grâce de 6 mois de l’article L612-19 CPI alinéa 2 ? » .
Selon les directives de l’INPI (Directives d’examen de l’INPI, II-A 2), la réponse est sans appel : il convient d’appliquer le délai de 6 mois à compter de la fin du délai de 4 mois précédents.
Je suis personnellement plus réservé : à mon sens rien dans le code ne permet d’affirmer cela.
Si le délai de 4 mois est un délai pendant lequel le paiement « est considéré comme valablement effectué » (fiction juridique de l’article R613-47 CPI), la date d’échéance de la redevance annuelle (i.e. la date à laquelle est dû le paiement) ne me semble pas modifiée.
Ainsi, selon mon interprétation toute personnelle, le délai de 6 mois débute à la date d’échéance « normale » de l’annuité.
Je vous laisse décider laquelle des deux interprétations est correcte.
Réductions de taxes
Une réduction de redevances est prévue si le déposant est (L612-20 CPI ensemble R613-63 CPI) :
- une personne physique ;
- la réduction est de droit et aucun justificatif n’est nécessaire ;
- une PME de moins de 1 000 salariés, dont le capital n’est pas détenu à plus de 25 % par une entité ne remplissant pas ces premières conditions ;
- il est nécessaire de fournir, dans le délai de 1 mois à compter du dépôt de la demande de brevet, une demande de réduction par écrit et une attestation sur l’honneur d’appartenance à cette catégorie, datée et signée par le mandataire social (Directives d’examen de l’INPI, II-B 2) ;
- un organisme à but non lucratif (OBNL) du secteur de l’enseignement ou de la recherche :
- il est nécessaire de fournir, dans le délai de 1 mois à compter du dépôt de la demande de brevet, une demande de réduction par écrit et une copie des statuts (Directives d’examen de l’INPI, II-B 2).
Lorsqu’il existe plusieurs demandeurs, tous les demandeurs doivent satisfaire à ces conditions (R613-63 CPI).
La réduction est de 50 % pour (R613-63 CPI ensemble Arrêté du 24 avril 2008 relatif aux redevances de procédures perçues par l’INPI, Art 2) :
- la redevance de dépôt ;
- la redevance de recherche
- sauf si la demande est une demande sous priorité étrangère accompagnée d’un rapport de recherche reconnu « équivalent » par le DG de l’INPI ;
- les annuités pour les années 1 à 5.
La réduction est de 25 % pour (R613-63 CPI ensemble Arrêté du 24 avril 2008 relatif aux redevances de procédures perçues par l’INPI, Art 2) :
- les annuités pour les années 6 et 7.
Les redevances de revendications ne bénéficient pas de réduction.
Quelques éléments procéduraux
Priorité
Il est possible de revendiquer une priorité si elle l’a été dans la demande mère (Directives d’examen de l’INPI, I-B III.5).
En revanche, il n’est pas possible d’ajouter une priorité sauf si elle est ajoutée (R612-24 CPI, alinéa 2 et 3) :
- soit dans les 4 mois du dépôt de la demande mère ;
- soit dans les 16 mois de la priorité la plus ancienne (existante ou ajoutée).
Merci pour ce très bon article.
L’affaire Kubota précitée a donné lieu à un pourvoi en Cassation. L’arrêt, rendu le 30 août 2023, fait évoluer la pratique française et autorise désormais le dépôt de demandes divisionnaires « en cascade », s’alignant ainsi sur l’OEB, ce dont on ne peut que se féliciter : [Link deleted]
« Les articles L. 612-4 et R. 612-34 du code de la propriété intellectuelle doivent être interprétés en ce sens que, dès lors que le déposant peut procéder au dépôt de demandes divisionnaires de sa demande de brevet d’origine, ainsi qu’au dépôt d’une ou plusieurs demandes divisionnaires sur la base d’une demande elle-même divisionnaire, la date limite pour déposer une seconde demande divisionnaire à partir d’une première demande divisionnaire correspond à la date de paiement de la redevance de délivrance et d’impression du fascicule du brevet issu de cette première demande divisionnaire. Viole ces textes la cour d’appel qui approuve le directeur général de l’INPl d’avoir déclaré irrecevable une seconde demande divisionnaire aux motifs qu’elle a été déposée après le paiement de la redevance de délivrance et d’impression du fascicule du brevet initial. »
Merci beaucoup pour ce très bon résumé des faits !!!
Il n’y a pratiquement pas de littérature sur le droit des brevets sur le net.
Vous êtes d’une aide incroyable !
Merci encore !