Action en contrefaçon

Table des matières

Qui peut agir en contrefaçon ?

Principe

L’action en contrefaçon peut être exercée par (L615-2 CPI) :

  • le propriétaire du brevet,
  • le licencié exclusif, et
  • le licencié d’office ou obligatoire.

Le propriétaire du brevet

Le propriétaire du brevet (ou titulaire du brevet) peut être celui qui a déposé la demande de brevet, mais il peut également être celui qui a acquis le brevet ultérieurement.

Pour identifier le titulaire du brevet, il est utile de regarder les inscriptions réalisées au RNB (Registre national des Brevets tenu par l’INPI) ou au REB (Registre européen des Brevets tenu par l’OEB). En effet, les cessions, les legs, etc. doivent être inscrits à un de ces registres sous peine d’inopposabilité (L613-9 CPI).

Ainsi, si les registres ne mentionnent aucune cession :

  • soit il n’y a eu effectivement aucune cession et le titulaire est celui qui est indiqué sur le fascicule du brevet ;
  • soit il y a eu une cession et le propriétaire du brevet a oublié d’inscrire la cession à un de ces registres. Dans ce cas, le propriétaire est irrecevable à agir tant qu’il n’aura pas corrigé les registres.

Normalement, les actes de contrefaçon antérieurs à la cession ne peuvent être poursuivis que par l’ancien propriétaire du brevet.

Il est néanmoins possible que la cession prévoie que le cessionnaire puisse exercer les droits du cédant pour la période précédant la cession : on parle de subrogation dans les droits du cédant (C. cass. ch. com, 11 janvier 2000, n°97-10838). Si la cession ne prévoyait pas de subrogation, le nouveau titulaire ne peut pas poursuivre les faits antérieurs à la cession. Néanmoins, il semble être possible d’établir un « acte confirmatif de cession » à tout moment qui viendra confirmer l’intention des parties le jour de la cession (il faudra l’inscrire bien entendu Cour d’appel de Paris , Pôle 5, 2e ch., 15 mars 2019 , RG n°17/02639)

En tout état de cause, l’inscription de la cession rend l’action du nouveau titulaire possible, mais ne conditionne pas le calcul du préjudice : en effet, la cour d’appel de Paris considère que « la règle de l’inopposabilité prévue à l’article [L613-9 CPI] ne saurait avoir pour effet de permettre au contrefacteur de contrefaire le brevet en toute impunité tant que la transcription de la cession n’est pas effectuée » (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1re ch., 5 octobre 2011).

Dans le cadre d’une succession à titre universel (héritage, fusion de société, etc.), la subrogation est automatique. Pour autant, cela ne dispense pas de l’inscription afin de pouvoir rendre opposable ses droits !

Un copropriétaire

Un brevet peut appartenir à plusieurs personnes. On parle alors des copropriétaires du brevet.

La loi prévoit un régime supplétif (L613-29 CPI) permettant de régir les relations entre les copropriétaires (des conventions particulières peuvent remplacer ce régime supplétif).

Ce régime supplétif prévoit (L613-29 CPI) qu’un des copropriétaires puisse engager une action en contrefaçon sans l’accord des autres copropriétaires. Néanmoins, il reste nécessaire de notifier l’action aux autres copropriétaires afin de leur donner la possibilité de s’y joindre et d’en profiter.

Si le copropriétaire peut agir seul, il ne peut réclamer que la part des dommages et intérêts qui lui revient. Autrement dit, il n’est pas subrogé dans les droits des copropriétaires non présents.

Le tribunal sursoit à statuer (L613-29 CPI b)) tant que la preuve de cette notification n’a pas été apportée au tribunal. A priori, cette preuve doit être apportée sous 2 ans (386 CPC), mais le contrefacteur peut demander un délai plus court au juge de la mise en état.

Un licencié

Le licencié exclusif

Principe

Le licencié exclusif est un licencié particulier : le propriétaire du brevet lui garantit une exclusivité sur un territoire donné (ici, la France) et durant une période donnée.

Mise en demeure

Afin de poursuivre un tiers en contrefaçon, le licencié exclusif doit mettre en demeure le titulaire du brevet d’agir (L615-2 CPI). À défaut, l’action est irrecevable (Tribunal de Grande Instance de Paris, ch. 03, 03 juillet 1998).

Néanmoins, il est possible de prévoir d’autres modalités dans le contrat de licence (« sauf stipulation contraire du contrat de licence » , L615-2 CPI).

En pratique, le formalisme de la mise en demeure n’est pas toujours nécessaire surtout si tout le monde est d’accord : ainsi, la jurisprudence admet que le propriétaire du brevet puisse indiquer au licencié qu’il consent à cette action sans pour autant avoir été « mis en demeure » (Tribunal de Grande Instance de Paris, ch. 03, 13 mars 1998). Par exemple, le titulaire du brevet peut autoriser le licencié à agir en contrefaçon :

À l’inverse, le titulaire du brevet peut s’opposer dans le contrat à ce que le licencié puisse exercer la moindre action en contrefaçon. Dans cette hypothèse, le breveté pourrait devoir engager lui-même l’action en contrefaçon. En effet, s’il refuse d’engager l’action, sa responsabilité contractuelle vis-à-vis de son licencié pourrait être engagée (garantie de non-éviction de l’article 1628 du Code civil).

Inscription de la licence

Pour que l’action en contrefaçon du licencié soit recevable, il est toutefois nécessaire que la licence ait fait l’objet d’une inscription au RNB (L613-9 CPI).

On oublie souvent cette dernière formalité lorsque la licence est accordée à une société fille (la société mère étant titulaire du brevet), ou que le titulaire du brevet est le chef d’entreprise et qu’il « autorise » sa société à exploiter le brevet :

  • si la société exploitant le brevet attaque un contrefacteur, elle sera irrecevable, car elle ne dispose pas de licence inscrite ;
  • si le chef d’entreprise attaque le contrefacteur, ses dommages et intérêts seront très faibles, car il n’exploite pas son brevet directement (et que la licence accordée est souvent gratuite). Toutefois, la société exploitant le brevet pourra faire « une intervention » à l’instance pour se faire dédommager.

Néanmoins, cette inscription peut être très tardive car elle ne conditionne que la qualité à agir en contrefaçon et non l’assiette du préjudice (C. Cass. ch. com., 18 février 2004, n°02-16703) : il est seul important que la licence soit inscrite au moment où le juge statue (CA d’Aix en Provence, 3 avril 2014).

Il faut noter un arrêt contraire de la Cour d’appel de Paris qui pense que cette inscription conditionne l’assiette de la contrefaçon (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1re ch., 2 juin 2010, RG n°2007/16086) : je pense que cet arrêt ne fait aucun sens car l’article L613-9 CPI prévoit qu’un licencié simple non-inscrit puisse intervenir pour obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre.

Le titulaire est-il alors privé d’une action future ?

Il est possible de se demander si le titulaire conserve, ultérieurement, la possibilité d’introduire une action contre le contrefacteur (qui aura, par exemple, été condamné une première fois dans une instance contre le licencié exclusif).

À mon sens, la rédaction de l’article L615-2 CPI ne permet pas d’interdire au titulaire du brevet d’introduire une action en contrefaçon au motif qu’il ne l’aurait pas exercée lorsqu’il a été mis en demeure par le licencié.

Interpréter cet article de la sorte reviendrait à reconnaitre une sorte de substitution du titulaire par le licencié exclusif, et ce en totale contradiction avec le principe de procédure française « nul ne plaide par procureur » .

De même, l’autorité de la chose jugée ne permet pas d’interdire au titulaire d’agir, à l’issue d’une action engagée par son licencié exclusif : l’identité des parties n’étant pas respectée (1351 Code civil).

Dès lors, si l’action du titulaire ne peut être rejetée, il semble que le juge devra faire très attention lors de la détermination des dommages et intérêts : il devra éviter qu’un même préjudice ne soit réparé deux fois, tout en jonglant avec les modes de calculs proposés par l’article L615-7 CPI !

Les premières décisions en la matière sont attendues avec impatience…

Le licencié d’office ou obligatoire

Le régime de la licence d’office ou obligatoire est identique (L615-2) à la licence exclusive pour ce qui concerne l’action en contrefaçon (à ceci près que le titulaire ne peut pas prévoir des clauses dérogatoires dans un contrat de licence).

Le licencié simple

Le licencié non exclusif ne peut pas faire d’action en contrefaçon (L615-2 CPI) sauf si le contrat de licence l’y autorise expressément, et qu’il en informe le titulaire du brevet.

Dans tous les cas, il peut intervenir à l’action et faire constater son préjudice (1240 du Code civil) si une action en contrefaçon est initiée par une autre personne.

La preuve de l’existence de la licence doit être faite (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 2e ch., 16 mai 2014 ; Knauf Insulation c. Saint-Gobain Isover).

Contre qui agir ?

Toute personne non autorisée

Si un tiers non autorisé réalise un des actes mentionnés dans l’article « Les actes de contrefaçon » , il est possible d’agir contre celui-ci.

Un licencié

Est-il possible d’agir en contrefaçon contre son propre licencié ?

La question peut se poser si un licencié ne respecte pas son contrat de licence (par exemple, il fabrique trop de produits). Est-il contrefacteur ou fait-il simplement une faute contractuelle ?

L’article L613-8 CPI répond à cette question : un manquement aux limites imposées par la licence est une contrefaçon.

Un tiers autorisé par un seul copropriétaire

Si un des copropriétaires souhaite accorder une licence à un tiers, et si l’on se trouve dans le régime supplétif de l’article L613-29 CPI, il est indispensable de notifier le projet de licence aux autres copropriétaires (L613-29 CPI c)) : ceux-ci peuvent s’y opposer dans un délai de 3 mois (en payant le prix de la licence).

Si la notification n’a pas lieu, la licence est inopposable aux autres copropriétaires (C. cass. ch. com. 15 mars 2011, n° 09-71934).

Ainsi, si la licence est valable, les copropriétaires non notifiés peuvent poursuivre en contrefaçon les licenciés autorisés à exploiter par le premier copropriétaire. Bien entendu, ces licenciés pourront appeler en garantie le premier copropriétaire afin d’éviter de supporter toute la charge de la sanction.

Il est également possible de forcer judiciairement la résiliation des contrats de licences passés (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 2e ch., 24 mai 2013).

Un licencié autorisé par un titulaire, celui-ci ayant volé l’invention

Si une personne (s’étant fait voler son invention) revendique la propriété d’un brevet auprès d’un tribunal (sur la base de l’article L611-8 CPI) et si cette revendication aboutit, toutes les licences ayant été accordées par l’ancien propriétaire auront été accordées sans droit et seront donc nulles.

Le nouveau propriétaire peut donc, en théorie, poursuivre les licenciés de l’ancien propriétaire en contrefaçon. Bien entendu, les licenciés pourront appeler en garantie l’ancien propriétaire afin d’éviter de supporter toute la charge de la sanction.

Le nouveau propriétaire peut également demander le transfert des licences (Tribunal de grande instance de Strasbourg, 1re ch. civ., 6 décembre 2004, cela est étrange, vu que l’on vient d’indiquer que les licences étaient nulles pour absence d’objet).

Le dirigeant personne physique ?

Dans certaine situation, la société vendant les produits contrefaisant est une SARL avec un capital social de quelques centaines d’euros. Dès lors, il peut être difficile d’obtenir réparation…

On peut alors se demander s’il est possible de se retourner contre le dirigeant de la société.

La Cour d’appel d’Aix semble considérer que cela est possible au visa de l’article L223-22 du Code de commerce. En effet, selon elle, les actes de contrefaçon commis par un gérant de société constituent une faute intentionnelle d’une particulière gravité qui, en conséquence, est détachable de ses fonctions sociales (Cour d’Appel d’Aix, 30 octobre 2014).

Encore faut-il que la faute intentionnelle soit claire (i.e. « faute intentionnelle d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice de ses fonctions » , C. Cass, com, 12 mai 2015, n°14-13024).

Sur quels fondements peut-on agir en contrefaçon ?

Un brevet français

Principe

Le propriétaire d’un brevet peut agir en contrefaçon en France (L615-2 CPI).

Demande de brevet

Une action en contrefaçon peut être engagée sur la base d’une demande de brevet (L615-4 CPI), mais le juge devra sursoir à statuer jusqu’à la délivrance d’un brevet (L615-4 CPI, dernier alinéa).

Une action fondée sur une demande de brevet peut permettre de stopper la prescription (2241 du Code civil).

Néanmoins, si jamais aucun brevet n’est délivré, une action reconventionnelle pour procédure abusive pourra être formée !

Importance de la date de publication

Seuls les faits postérieurs à la publication (ou la notification au présumé contrefacteur) peuvent être poursuivis (L615-4 CPI, alinéa 1) (C. Cass. com. du 26 mars 1985, n°83-12290).

Cas d’un élargissement après publication

De plus, si le jeu de revendications est élargi après cette publication (ou cette notification), les faits « contrefaisants » ne pourront pas être poursuivis (L615-4 CPI, alinéa 2).

Afin de rendre ce nouveau jeu plus large opposable, il est utile de le faire republier par l’INPI (ou de le renotifier), mais cette republication ou cette renotification n’a pas pour effet de rendre opposables les revendications de manière rétroactive (Tribunal de grande instance de Paris, 3e ch., 3e sect. 21 octobre 2003).

Un brevet européen

Principe

Un brevet européen a, à compter de la publication de sa mention de délivrance, les mêmes effets qu’un brevet français (A64(1) CBE).

Un brevet européen est donc utilisable de la même manière en France (si celui-ci est validé en France et si la traduction des revendications est fournie à l’INPI, L614-9 CPI).

Une traduction intégrale du brevet doit être fournie devant la juridiction compétente (L614-7 CPI) à sa demande ou à celle du présumé contrefacteur.

Une demande de brevet européen

Principe

Il est tout à fait possible d’introduire une action en contrefaçon sur la base d’une demande de brevet européen (L614-9 CPI alinéa 1) à compter de sa publication par l’OEB (et sous réserve de fournir, si nécessaire, à l’INPI la traduction des revendications ou de la notifier au présumé contrefacteur, L614-9 CPI alinéa 2)

Il ne semble donc pas possible d’agir devant une juridiction française avant la publication de sa demande par l’office (ex. après notification du contrefacteur du jeu de revendication) contrairement à ce qui est possible pour une demande française (L615-4 CPI, alinéa 1).

Coexistence d’un brevet français et d’une demande européenne

Si jamais la demande de brevet européen vise la même invention qu’un brevet français (ex. demande prioritaire), il faut se décider :

  • si vous utilisez la demande de brevet européen :
    • le juge refusera de se prononcer immédiatement et sursoira à statuer tant que le brevet européen ne sera pas accordé (L615-4 CPI) ;
  • si vous utilisez le brevet français :

Le seul moyen de débloquer la situation est de retirer la désignation de la France dans la demande de brevet européen (Tribunal de grande instance de Strasbourg, 1re ch. civ., 8 juin 2009) : le juge ne sera pas tenu par les dispositions de l’article L614-15 CPI et pourra rendre un jugement sur la base du brevet français.

Sur la base d’une demande internationale (PCT)

Une demande PCT, à compter de la publication de la demande internationale, confère la même protection que celle accordée par une demande française (A29.1 PCT ensemble L614-24 CPI ensemble A153 CBE) si la demande PCT entre bien en phase européenne (et sous réserve de fournir, si nécessaire, à l’INPI la traduction des revendications ou de la notifier au présumé contrefacteur, L614-9 CPI alinéa 2).

Quand peut-on agir ?

Pendant la durée de vie du brevet

Il est possible d’introduire une action afin de poursuivre tout acte contrefaisant réalisé la durée de validité du brevet (L611-2 CPI).

Il n’existe pas de condition quant à la validité du titre au jour de l’introduction de l’action : celui-ci peut être déchu (du moment que les actes de contrefaçon ne sont pas prescrits) !

Prescription

Prescription civile

Les actes de contrefaçon se prescrivent par 5 ans au civil (L615-8 CPI, avant le 11 mars 2014, la prescription était de 3 ans).

Suspension de la prescription civile

Principe

Il faut bien reconnaître que la prescription n’est pas vraiment une notion facile.

En effet, l’article 2239 du code civil prévoit que la prescription est suspendue si le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction. En l’occurrence, il apparait que la saisie-contrefaçon est une mesure d’instruction (rapport de la cour de cassation de 2012).

De plus, ce même article 2239 du code civil , prévoit que le délai de prescription recommence à courir après l’exécution de la mesure d’instruction pour un délai minimal de 6 mois.

Bon, vous êtes un peu perdu… c’est normal :

  • si vous obtenez une ordonnance de saisie-contrefaçon le dernier jour du délai de prescription, en gros, le délai sera suspendu tant que vous n’aurez pas réalisé la saisie et
  • une fois que la saisie aura été effectuée, il se relancera jusqu’à votre assignation (car l’assignation doit survenir bien avant le délai supplémentaire des 6 mois, voir la preuve de la contrefaçon).
Casse-tête pour le plaisir

Comme vous le savez, j’aime beaucoup me poser des questions.

La question que je pose ici est : la suspension de la prescription, ok… mais à l’encontre de quelle prescription ?

En effet, une saisie contrefaçon demandée pour saisir A dans le cadre d’un procès à l’encontre contre B arrête-elle le délai de prescription concernant les actes de la société C ?

Mon avis est que cette suspension ne peut être générale et ne devrait concerner que les actes pour lesquels la saisie est demandée… mais à défaut d’avoir trouvé de la jurisprudence sur le sujet…

Prescription pénale

Les actes de contrefaçon se prescrivent par 6 ans au pénal (8 CPP, avant le 1er mars 2017, la prescription était de 3 ans).

L’action judiciaire

La juridiction compétente

En matière civile

Principe

Seul le Tribunal de Grande Instance de Paris est compétent pour les actions en contrefaçon ou en nullité (L615-17 CPI ensemble D211-6 Code de l’organisation judiciaire) y compris pour les questions connexes de concurrence déloyale.

De plus, le TGI de Paris est également compétent pour autoriser :

La Cour d’appel de Paris est compétente en appel (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1re ch., 20 juin 2012).

Précision quant à la compétence des cours d’appel depuis le 1e novembre 2009

L’application du décret de 2009 attribuant une compétence exclusive au TGI de Paris en matière de brevet a suscité des interrogations pour déterminer la cour d’appel compétente en cas d’appel d’un jugement rendu par un TGI de province saisi avant le 1e novembre 2009.

Pour la Cour de cassation (C. Cass. com., 3 mars 2015, n°14-10568), rien n’est indiqué dans le décret n° 2009-1205 du 9 octobre 2009 concernant une compétence exclusive de la Cour d’appel de Paris : seule la compétence du TGI de Paris est reconnue pour les brevets.

Dès lors, il convient d’appliquer les principes généraux de l’article R311-3 du code de l’organisation judiciaire selon lequel la Cour d’appel est compétente pour connaitre des décisions des Tribunaux de Grande Instance situés dans son ressort.

En matière pénale

L’article L615-17 CPI ne mentionnant que les « actions civiles » , on pourrait penser qu’a contrario, les règles de procédures classiques s’appliquent et que l’ensemble des tribunaux correctionnels sont compétents ratione materiae pour connaitre des actions pénales en contrefaçon.

La Cour de cassation est venu confirmer ce point en matière de marque (C. Cass. crim., 19 juin 2013, n°12-84533) : les règles spéciales de compétences du code de la propriété intellectuelle ne s’applique qu’au civil.

L’instance au fond

La langue de l’instance

Les juridictions invoquent l’article 111 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts d’août 1539 pour pouvoir écarter des pièces en langue étrangère (Cour d’Appel de Paris, pôle 1, 2e ch., 21 mars 2012).

Article 111 de l'ordonnance de Villers-Cotterêts d'août 1539
Article 111 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts d’août 1539

Néanmoins, formellement, l’ordonnance de Villers-Cotterêts d’août 1539 ne s’applique qu’aux actes de la procédure (i.e. les pièces rédigées par les juges) et qu’il appartient au juge du fond, dans l’exercice de son pouvoir souverain, d’apprécier la force probante des éléments qui lui sont soumis (C. cass ch. com, 24 mai 2011, n°10-18608).

Ainsi, il est tout à fait possible qu’une juridiction se montre souple (C. cass. ch. com., 7 janvier 2014, n°12-25955, même s’il ne faut trop pas compter dessus).

L’assignation

L’assignation est également être appelée « exploit d’huissier » .

L’article 56 CPC dispose que l’assignation doit contenir l’objet de la demande avec l’exposé des moyens de droit et de fait.

Cette assignation contient notamment :

  • la qualité et la désignation des parties,
  • des indications sur le tribunal de comparution (ici, le TGI de Paris),
  • une invitation à se constituer un avocat (902 CPC) :
    • sous 15 jours (à défaut, il y a normalement un jugement non contradictoire, mais cela est rarement mis en pratique immédiatement).
    • sous 2 mois pour les étrangers,
  • l’exposé succinct des motifs,
  • l’exposé des demandes et des raisons de la demande (y compris la cessation de la contrefaçon et la réparation du préjudice afin d’être certain d’arrêter la prescription pour ces deux actions).

À ce stade, le tribunal n’est pas au courant de l’assignation. Il faut donc déposer une copie de l’assignation au tribunal : on appelle ce dépôt la « saisine du tribunal » .

Il convient de bien soigner l’assignation

La mise en état

Cette mise en état s’effectue devant … le juge de la mise en état.

Il est chargé de suivre la procédure, de vérifier que les pièces demandées sont bien transmises entre les parties, etc.

Les exceptions sont soulevées devant ce magistrat (771 CPC) (mais pas les fins de non-recevoir, C. Cass, avis n° 0060012P du 13 novembre 2006).

Ce juge fixe le calendrier de remises des écritures et fixe la clôture qui met fin à l’échange des écritures.

Moyens « dilatoires » envisageables

Comme moyen permettant de « retarder » une procédure, il est possible de :

  • demander un sursis à statuer, de droit (c’est-à-dire que le juge ne peut pas vous le refuser), si vous vous faites assigner par un copropriétaire, sans qu’il y ait eu de notification envoyée à ses autres copropriétaires. Ce sursis est prévu au b) de l’article L613-29 CPI ;
  • demander un sursis à statuer, de droit, si vous vous faites assigner sur la base d’un brevet français et si une demande de brevet européen est en instance et que cette demande de brevet européen a été déposée par le même inventeur du brevet français (ou son ayant cause), qu’elle vise la même invention et qu’elle bénéfice de la priorité (L614-15 CPI) ;
  • demander un sursis à statuer, de droit, si l’assignation se fonde sur une simple demande de brevet et non un brevet (L615-4 CPI) ;
  • si un brevet européen est accordé, mais qu’une opposition est en cours, il est possible de demander un sursis à statuer pour « la bonne administration de la justice » (principe de procédure civile). Néanmoins, les juges n’accordent pas souvent ce sursis considérant que l’opposition est trop « lente » . Notons que si vous vous faites condamner de manière définitive et que le brevet est finalement déclaré nul durant l’opposition, vous ne pourrez pas vous faire rembourser les dommages et intérêts versés au nom du principe de l’autorité de la chose jugée (C. cass. ass. pl. 17 février 2012, n°10-24282) ;
  • si une action en revendication est engagée, vous pouvez demander un sursis, mais cela n’est pas obligatoire, comme dans le cas précédent.

Sanctions civiles

Interdiction sous astreinte

Cette interdiction n’est pas explicitement prévue par le code, mais se fonde sur les articles L613-3 et L613-4.

L’astreinte permet s’assurer de la force exécutoire de la décision du juge (impérium du juge). C’est en quelque sorte une condamnation pour l’avenir. Elle est fixée en fonction du prix de l’objet pour dissuader le contrefacteur de continuer la contrefaçon.

Si cette astreinte doit être payée au titulaire du brevet, celle-ci n’est pas automatique. En effet, pour percevoir l’astreinte, il est nécessaire de demander au juge de l’exécution de « liquider » celle-ci (art 35 de la loi 91-650 du 9 juillet 1991). Le juge peut la modérer au l’augmenter en fonction de la bonne foi du contrefacteur et des difficultés rencontrées (art 36 de la loi 91-650 du 9 juillet 1991).

Si le jugement est finalement infirmé par une cour d’appel ou la Cour de cassation, il est nécessaire de rembourser l’astreinte perçue.

Rappel des circuits commerciaux

Il est possible de demander le rappel des produits contrefaisants des circuits commerciaux (L615-7-1 CPI).

Néanmoins, il n’est pas très clair ce que recouvre exactement la notion de « circuits commerciaux » :

  • Est-ce les circuits situés en France ?
  • Cela couvre-t-il que les succursales de la société condamnée ?
  • Cela concerne-t-il les produits ayant été achetés par des distributeurs ?

Confiscation

La confiscation est une sanction très ancienne, déjà présente dans le décret « relatif aux auteurs de découvertes utiles » du 31 décembre 1790 (voir l’article 12).

Deux théories s’opposent concernant la confiscation :

  • La confiscation doit-elle servir à empêcher la continuation des actes de contrefaçon ?
  • La confiscation doit-elle servir à indemniser le titulaire des droits ?

Si sous l’empire de la loi de 1968, la première théorie dominait largement la loi, la loi a été modifiée en 1978 et aujourd’hui, la confiscation est clairement au profit du titulaire des droits (L615-7-1).

Destruction

La destruction des produits contrefaisants est également possible (L615-7-1) :

Cette destruction se fait aux frais du contrefacteur.

Publicité du jugement

Si la publicité du jugement peut être ordonnée par le juge (L615-7-1), il faut savoir raison garder !

Le dénigrement est, par exemple, constitué dès lors :

  • qu’il est fait état des agissements d’un contrefacteur sans décision de justice ;
  • qu’il est fait état d’une décision de justice tronquée ;
  • qu’une publicité commerciale tapageuse ou provocante prend pour thème une décision de justice, même définitive, condamnant un concurrent.

Néanmoins, le simple fait d’envoyer un mail à ses clients les informant simplement d’un jugement (même non définitif) n’est pas en soi déloyal (Cour d’appel de Paris, Pôle 1, Ch. 2, 16 juin 2016, RG n°15/068473).

Dommages et intérêts

Principe

Les dommages et intérêts trouvent leur fondement juridique à l’article 1240 du Code civil.

Assiette

Depuis le 11 mars 2014, le juge a de nouvelles consignes pour calculer les dommages et intérêts (L615-7 CPI).

Le juge doit prendre en compte distinctement (L615-7 CPI) :

  • les conséquences économiques négatives, dont :
    • le manque à gagner et
    • la perte subis ;
  • le préjudice moral ;
  • les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements :
    • intellectuels,
    • matériels et
    • promotionnels.

De plus, le titulaire des droits peut préférer se faire indemniser sur la base d’une indemnité forfaitaire qui doit être supérieure au prix d’une licence qui aurait été demandée (L615-7 CPI, dernier alinéa).

Cette dernière option doit vraisemblablement être écartée si l’action est introduite par le licencié exclusif.

Assiette et inscription de licence

L’inscription d’une licence n’est pas une condition pour calculer l’assiette des dommages.

Cette inscription ne conditionne que la qualité à agir en contrefaçon et non l’assiette du préjudice (C. Cass. ch. com., 18 février 2004, n°02-16703) : il est seul important que la licence soit inscrite au moment où le juge statue (CA d’Aix en Provence, 3 avril 2014).

Il faut noter un arrêt contraire de la Cour d’appel de Paris qui pense que cette inscription conditionne l’assiette de la contrefaçon (Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 1re ch., 2 juin 2010, RG n°2007/16086) : je pense que cet arrêt ne fait aucun sens car l’article L613-9 CPI prévoit qu’un licencié simple non-inscrit puisse intervenir pour obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre.

Historique de l’assiette des dommages

Précédemment, le juge ne regardait que le préjudice subit par le titulaire des droits.

Très tôt, la jurisprudence s’est trouvée devant le dilemme suivant : si le breveté est un particulier et que le contrefacteur est une très grosse multinationale, il est probable que le contrefacteur soit en capacité de tirer de très gros bénéfice de la contrefaçon (du fait de sa puissance et de ses circuits commerciaux). De l’autre côté, le breveté (tout petit) ne peut atteindre les mêmes marchés que son contrefacteur.

Pendant très longtemps, la jurisprudence est restée fidèle à elle-même : il n’y a pas de dérogation au droit commun et seul le préjudice doit être réparé (C. cass. com 8 janvier 1963, affaire des moulins à pêche Mitchell)

La résistance à la contrefaçon

Il arrive que le juge accepte d’indemniser les efforts commerciaux qui ont été nécessaires au breveté pour lutter commercialement contre le contrefacteur, par exemple en « limitant de l’augmentation des prix » (C. cass. ch. com. 23 mai 1995 n°93-18527, Affaire Chlortoluron).

Dommages et intérêts punitifs ?

L’approche française a toujours refusé le concept de « dommages et intérêts punitifs ».

Néanmoins, il convient de rappeler que ce concept de « dommages et intérêts punitifs » n’est absolument pas contraire au droit européen (Décision de la CJUE C-367/15).

La CJUE note également que le simple versement d’une redevance hypothétique n’est pas à même de garantir une indemnisation de l’intégralité du préjudice subi car il n’assurerait ni le remboursement d’éventuels frais liés à la recherche et à l’identification de possibles actes de contrefaçon ni l’indemnisation d’un possible préjudice moral, ni le versement d’intérêts sur les montants dus.

Sanctions pénales

Principe

La contrefaçon est sanctionnée pénalement (L615-14 CPI, alinéa 1, 1re phrase) :

  • d’une amende pouvant aller jusqu’à 300 k€ ;
  • d’une peine pouvant aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement.

Renforcement de la sanction dans le cas de récidive

En cas de récidive, la sanction peut être doublée (L615-14-1 CPI).

Renforcement de la sanction dans le cas d’un licencié

Si le contrefacteur était licencié, la sanction peut être également doublée (L615-14-1 CPI).

Renforcement de la sanction dans certains autres cas

La sanction peut être, en outre, augmentée (L615-14 CPI, alinéa 1, 2e phrase) :

  • si la contrefaçon est dangereuse pour la santé, ou
  • si la contrefaçon a été effectuée sur Internet, ou
  • si la contrefaçon a été effectuée en bande organisée

La contrefaçon est alors sanctionnée pénalement (L615-14 CPI, alinéa 1, 2e phrase) :

  • d’une amende pouvant aller jusqu’à 500 k€ ;
  • d’une peine pouvant aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement.

Peines complémentaires

À titre accessoire, il est possible au juge d’ordonner (L615-14-2 CPI) :

  • au contrefacteur de retirer, à leurs frais, des circuits commerciaux les objets jugés contrefaisants ;
  • la destruction des produits contrefaisants ;
  • la remise des produits contrefaisants au titulaire ;
  • des dommages et intérêts ;
  • l’affichage du jugement.

5 commentaires :

  1. Bonjour,

    L615-2 CPI précise que
    « Le titulaire d’une licence non exclusive peut exercer l’action en contrefaçon, si le contrat de licence l’y autorise expressément, à condition, à peine d’irrecevabilité, d’informer au préalable le titulaire du brevet. »

    Par conséquent, ne faudrait-il pas compléter la partie « 1.4.3 Le licencié simple » et y ajouter cette possibilité ?

    Cordialement,

  2. Nouvel article 8 CPP depuis le 1er mars 2017 : prescription des délits au pénal = 6 ans désormais.

  3. Sur le Chapitre sur la compétence :

    « Seul le Tribunal de Grande Instance de Paris est compétent pour les actions en contrefaçon ou en nullité (L615-17 CPI32 ensemble D211-6 CPI33) y compris pour les questions connexes de concurrence déloyale. »

    Correction : L’article D211-6 cité est issu du code de l’organisation judiciaire et non du CPI.

    Site très bien réalisé, bravo et merci.

    Cordialement,
    Julien Pied

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