Cadre général
Charge de la preuve
D’une manière générale, la partie qui invoque un fait doit le prouver et une partie qui nie un fait doit prouver son inexistence (article 54 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet).
Une partie qui énonce un fait qui est susceptible d’être contesté doit indiquer les moyens de preuves permettant de le prouver (règles 13 et 171.1 du règlement de procédure) et produire ces preuves si cela est contesté (règle 172.1 du règlement de procédure).
C’est un principe relativement partagé par tous les Etats membres (Actori incumbit probatio).
Si un fait n’est pas contesté, ce fait est considéré comme juste (tout du moins entre les parties) (règle 171.2 du règlement de procédure).
Renversement de la charge de la preuve
Un renversement de la charge de la preuve est possible (article 55.1 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet) si l’objet d’un brevet est un procédé permettant d’obtenir un nouveau produit, et que l’on regarde si un produit est « contrefaisant ».
De même, il y aura renversement de la charge de la preuve si, cumulativement (article 55.2 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet) :
- on regarde la contrefaçon d’un procédé de fabrication d’un produit identique,
- la probabilité est grande que le procédé ait été employé pour cette fabrication,
- le demandeur a fait des efforts raisonnables pour essayer de déterminer le procédé utilisé.
Bien entendu, il faut prendre en compte que le défendeur doit protéger ses secrets de fabrication et des affaires (article 55.3 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet).
Devoir concernant les preuves
Concernant les parties
Les parties doivent présenter tous les éléments qui pourraient influencer les juges lors de leur décision concernant une ordonnance prise sur requête (règle 192.3 du règlement de procédure).
Concernant le mandataire
Le mandataire ne peut pas altérer la présentation des faits en pleine connaissance de cause ou si de bonnes raisons auraient dues l’alerter (article 48 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet et règle 284 du règlement de procédure).
Si un mandataire le fait, il peut se faire exclure de la procédure (règle 291 du règlement de procédure). On notera que la sanction n’est pas bien sévère…
Preuves possibles
Les moyens de preuves possibles devant la JUB sont (règle 170.1du règlement de procédure) :
- des preuves écrites ;
- des rapports d’experts et des rapports d’expériences ;
- les objets physiques ;
- fichiers électroniques et enregistrements audio / vidéo.
Focus sur la « Protective Letter »
Une « protective letter » est une lettre envoyée par un tiers susceptible de se faire attaquer en contrefaçon afin de présenter dès que possible une défense et éviter que le juge ordonne des mesures provisoires qui lui porterait préjudice (règle 207.1 du règlement de procédure).
Cette lettre doit être présentée (règle 207.2 du règlement de procédure) dans la langue du brevet et doit détailler, notamment, ses arguments (preuves et arguments légaux, règle 207.3 du règlement de procédure)
Une taxe est alors exigible (règle 207.4 du règlement de procédure).
Si une des exigences formelles de la règle 207.2 du règlement de procédure n’est pas respectée, le demandeur est informé du fait qu’il dispose d’un délai de 14 jours pour corriger sa lettre (règle 207.5 du règlement de procédure).
Cette lettre est transmise au titulaire du brevet (règle 207.8 du règlement de procédure).
Moyens d’obtention des preuves
Ordonnances d’investigation du juge
Principe
Le juge peut demander (article 53 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet et règle 170.2 du règlement de procédure) :
- l’audition des parties ;
- l’audition de témoins (sous serment ou non) ;
- l’audition d’experts ;
- des tests et des expériences comparatifs.
Focus sur les témoins
Fourniture volontaire d’une déclaration d’un témoin
Il est tout à fait possible qu’une partie décide de verser aux débats la déclaration d’un témoin (règle 175 du règlement de procédure).
Cette déclaration doit être signée par le témoin (règle 175.2 du règlement de procédure) et s’accompagner d’une formule indiquant qu’il comprend que le fait de mentir peut le rendre responsable.
Par ailleurs, une déclaration concernant les conflits d’intérêt doit être présent (règle 175.3 du règlement de procédure).
Si la déclaration du témoin est contestée (règle 177.1(b) du règlement de procédure), le juge peut ordonner une audition.
Demande d’audition d’un témoin
Une partie peut demander l’audition d’un témoin (règle 177.1(c) du règlement de procédure).
Cette demande doit contenir (règle 176 du règlement de procédure) :
- les motivations pour cette audition ;
- les faits que l’on cherche à confirmer grâce à cette audition ;
- la langue de l’audition.
Décision propre des juges
Les juges peuvent décider, de leur propre chef, que l’audition d’un témoin est utile pour le dossier (règle 177.1(a) du règlement de procédure).
Contenu de l’ordonnance pour une audition
L’ordonnance convoquant un témoin pour une audition doit comporter (règle 177.2 du règlement de procédure) :
- le nom, l’adresse et la description du témoin ;
- la date et le lieu de l’audience ;
- une indication des faits de l’action au sujet de laquelle le témoin doit être interrogé ;
- des informations sur le remboursement des dépenses engagées par le témoin ;
- une déclaration selon laquelle le témoin sera interrogé par la Cour et les parties ; et
- la langue de procédure et la possibilité d’organiser une interprétation simultanée entre cette langue et la langue du témoin, si nécessaire (voir article 109 du règlement de procédure).
Dans son ordonnance de convocation à comparaître, la Cour l’informe également de ses devoirs et droits en tant que témoin en vertu des articles 178 et 179 règlement de procédure (i.e. obligation de se présenter, obligation de dire la vérité) (règle 177.3 du règlement de procédure).
Focus sur les experts
Expert nommé par la cour
Il est possible que la cour nomme un expert pour l’éclairer sur un sujet technique (règles 185-188 du règlement de procédure) mais cette situation semble assez improbable puisque les juges techniques remplissent normalement cette fonction.
Expert consulté par les parties
Les parties peuvent tout à fait produire des rapports d’experts qui leur sont propres (règle 181.1 du règlement de procédure).
Il convient de noter que les experts se doivent d’être impartiaux et ne pas avoir de biais s’ils sont convoqués à une audition (règle 181.2 du règlement de procédure).
Focus sur les tests et expérimentations
La cour peut décider de mener ses propres tests et expérimentations si cela est demandé sans délai par une partie (règles 201.1 et 201.2 du règlement de procédure).
La partie adverse est alors invité à se prononcer sur cette demande (règle 201.3 du règlement de procédure).
L’ordonnance de la cour décidant de tels tests doit comporter (règle 201.5 du règlement de procédure) :
- Les coordonnées de l’expert qui mènera les tests et fera le rapport ;
- Le moment (ou la période) où les tests seront faits ;
- Les conditions des tests ;
- La date butoir pour la remise du rapport.
La cour peut décider que les parties et/ou les experts des parties puissent être présents lors des tests (règle 201.6 du règlement de procédure).
Par défaut, et à moins d’une décision contraire, les coûts sont supportées par la partie demandant les tests (règle 201.4 du règlement de procédure).
Une fois le rapport établi, les parties peuvent commenter ce rapport (règle 201.7 du règlement de procédure).
L’expert l’ayant réalisé peut être convoqué à une audition pour en discuter (règle 201.7 du règlement de procédure).
Ordonnance pour présenter des preuves
Les juges peuvent également ordonner à une partie ou un tiers de produire des preuves qu’il a à sa disposition (article 53 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet et règles 170.3 et 172.2 du règlement de procédure).
Cette ordonnance ne peut se faire que si une partie le demande durant la procédure (article 59 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet et article 6.1 de la directive sur le respect des droits de PI 2004/48/CE). Cette demande doit être supportée par un faisceau de preuve suffisant (article 59 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet).
La demande de cette partie pour produire une preuve doit comporter (règle 190.4 du règlement de procédure) :
- la forme de la preuve à produire ;
- avant quelle date cette preuve doit être produite ;
- la sanction demandée si la preuve n’est pas produite.
La personne visée par cette ordonnance peut être l’adversaire ou un tiers (article 59 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet).
Ordonnance pour communiquer certaines informations
Les juges peuvent également ordonner à une partie de produire des informations qu’il a à sa disposition (articles 53 et 67 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet et règles 170.2 et 191 du règlement de procédure et article 8.1 de la directive sur le respect des droits de PI 2004/48/CE).
Ces informations peuvent être des éléments concernant :
- l’origine des contrefaçons ;
- la masse contrefaisante ;
- etc.
Ordonnance pour préserver les preuves
Principe
Un juge peut ordonner certaines mesure pour préserver les preuves (articles 53 et 60 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet et règles 192-198 et 170.3 du règlement de procédure et article 7 de la directive sur le respect des droits de PI 2004/48/CE).
Cette ordonnance s’inspire grandement de la saisie-contrefaçon française.
Qui peut la demander ?
Cette ordonnance ne peut se faire que sur demande du titulaire du brevet (article 7.1 de la directive sur le respect des droits de PI 2004/48/CE et article 60.1 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet) : elle ne peut donc pas être décidé d’office par les juges.
Contre qui la demander ?
Même si l’article et article 60 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet est confus sur ce sujet, il semble possible de demander cette ordonnance contre n’importe quel tiers.
En effet, comme aucune action n’est potentiellement pendante devant la JUB, la formulation « autre partie » semble simplement faire référence à la partie saisie.
Comment la demander ?
Preuve ?
Il est nécessaire d’avoir un commencement de preuve afin de pouvoir demander cette mesure (article 7.1 de la directive sur le respect des droits de PI 2004/48/CE et article 60.1 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet).
Contradictoire ?
Elle peut être demandée sur requête (article 7.1 de la directive sur le respect des droits de PI 2004/48/CE et article 60.5 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet) lorsque tout retard est susceptible de causer un préjudice irréparable au titulaire du brevet ou lorsqu’il existe un risque démontrable de destruction des éléments de preuve.
Ainsi, les juges doivent prendre en considération (règle 194.2 du règlement de procédure) :
- l’urgence de la situation ;
- si les motifs pour ne pas réaliser un contradictoire semblent bien fondés ;
- la probabilité de destruction ou de disparition de la preuve.
Si ce n’est pas le cas ou si le demandeur n’arrive pas à le prouver, cette demande se fera de manière contradictoire et le défendeur sera appelé (règle 194.1 du règlement de procédure).
De manière assez étrange, la « protective letter » mentionnée plus haut n’est pas mentionnée. Il est quand même assez logique que cette protective letter influence le juge.
Lien avec une procédure existante ?
Au sein d’une procédure existante
Il est possible de demander une saisie dans le cadre d’une procédure existante (règle 193.2 du règlement de procédure) devant cette même division (règle 192.1 du règlement de procédure).
Sous cette hypothèse, c’est la formation saisie qui tranchera cette demande (règle 193.2 du règlement de procédure – ou plus exactement c’est le président de la formation qui décide qui tranchera cette demande, règle 194.3 du règlement de procédure) après un examen formel par le greffe (règle 16 du règlement de procédure).
La langue de la procédure doit être utilisée (règle 192.4 du règlement de procédure).
En dehors de toute procédure
Bien entendu, il est possible de demander cette mesure alors qu’aucune procédure ne soit pendante devant la JUB (article 60.1 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet).
Le demandeur doit présenter sa requête devant la division qui lui semble être la plus probable si une action au fond devait débuter après la saisie (règle 192.1 du règlement de procédure)… néanmoins, les textes ne semblent pas imposer une forte obligation …
La langue utilisée doit être une langue possible devant cette division (règle 192.4 ensemble règle 14 du règlement de procédure).
Un juge rapporteur sera désigné par le président que la division pour trancher cette demander (règles 193.1 ensemble règle 18 du règlement de procédure) et après un examen formel par le greffe (règle 16 du règlement de procédure).
Néanmoins, afin de pouvoir valablement utiliser les éléments de la saisie, il convient d’engager une action devant la JUB dans un délai de (article 60.7 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet) (i.e le max des deux) :
- 31 jours civils ou
- 20 jours ouvrables.
Révision, appel et révocation de l’ordonnance
Révision
Si l’ordonnance est accordée sur requête, le défendeur peut revenir vers le juge afin de discuter de la portée de cette ordonnance (modification, abrogation ou maintien, article 60.6 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet et règle 197.3 du règlement de procédure) dans les 30 jours qui suivent l’exécution de l’ordonnance.
Une procédure orale de révision est alors convoquée sans délai (règle 197.4 du règlement de procédure).
Appel
Si l’ordonnance a été accordée de manière contradictoire, seul un appel contre l’ordonnance est possible (règle 196.7 et 220.1 du règlement de procédure).
Cette appel se fait devant la cour d’appel (règle 220.1 du règlement de procédure).
Révocation
Si le demandeur n’engage pas d’action au fond dans les délais prescrits, l’ordonnance peut être aussi attaquée en révocation (règle 198 du règlement de procédure) sous (max) 31 jours calendaire ou 20 jours ouvrables après la date indiquée dans l’ordonnance pour la production du rapport de la saisie.
Cette décision de révocation peut inclure, sur demande de la partie saisie, une compensation pour l’effet de la saisie (règle 198.2 du règlement de procédure).
Forme de la saisie
La saisie peut consister en (article 60.2 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet) :
- la description détaillée, avec ou sans prélèvement d’échantillons,
- la saisie matérielle des produits litigieux et, dans les cas appropriés, des matériels et instruments utilisés pour produire et/ou distribuer ces produits,
- la saisie des des documents s’y rapportant.
Personne effectuant la saisie
La personne qui sera nommée par les juges pour effectuer cette saisie (article 60.3 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet et règles 196.4 et 196.5 du règlement de procédure) peut être :
- un expert ou un professionnel ayant une expertise technique, une indépendance et impartialité ;
- un huissier si cela est autorisé par la loi nationale.
Le demandeur ne peut être présent lors de la saisie mais il peut se faire représenter par une personne dont le nom doit être indiqué sur l’ordonnance (article 60.4 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet).
Constitution de garantie
Une constitution de garantie peut être demandée à la partie qui demande cette saisie afin de dédommager le saisi en cas de besoin (articles 60.6 et 60.9 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet).
Ordonnance pour inspection
Un juge peut ordonner certaines mesure pour réaliser une inspection (articles 53 et 60 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet et règles 199 et 170.3 du règlement de procédure et article 7 de la directive sur le respect des droits de PI 2004/48/CE).
Il n’est pas très clair en quoi l’inspection est très différente de la préservation de la preuve présentée juste au dessus mais bon …
On va donc considérer que c’est la même chose (ou tout du moins que cela suit la même procédure, règle 199.2 du règlement de procédure).
Ordonnance pour geler des avoirs
Un juge peut ordonner des mesures pour geler des avoirs (article 61 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet et règle 200 du règlement de procédure) si des preuves raisonnables et plausibles de la contrefaçon sont amenées.
La procédure est la même que pour les saisies (règle 200.2 du règlement de procédure).
Confidentialité et preuves
L’AJUB prévoit que certaines informations de la procédure puisse être maintenue sous le sceau de la confidentialité (article 58 de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet).
Seules certaines personnes seront nommées et pourront avoir accès à ces informations.
Par ailleurs, l’accès au registre peut bénéficier d’un certain contrôle d’accès (règle 262 du règlement de procédure).
Sinon, tous les documents fournis seront accessible immédiatement dans le registre en ligne (règle 262 du règlement de procédure).
De même, la procédure intérimaire ou les auditions peuvent se faire à huis-clos dans l’intérêt d’une des parties (règle 105.2 du règlement de procédure ou règle 115 du règlement de procédure).
Nous pouvons légitimement nous demander comment la confidentialité sera respectée pour la rédaction de la décision, qui doit être motivée et publique.